Intervention de Brigitte Foret

 La demande des organisateurs de cette journée de formation m’a offert une belle occasion de réfléchir, de relire le pourquoi de mon engagement depuis une quinzaine d’années dans la Pastorale de la Santé.

Deux parties dans mon intervention de ce matin :

  • La première précise ce qui a motivé chez moi cet engagement que j’exerce dans le cadre d’une mission reçue.
  • Eclairage et relecture à partir du parcours d’Abraham

Motivation personnelle et mission reçue

  • Mon chemin

Sans vous raconter toute ma vie je voudrais vous donner cependant quelques étapes qui me semble-t-il, m’ont conduit à m’engager dans la pastorale de la santé.

J’ai eu la chance de grandir dans une famille nombreuse, sans trop de difficultés sociales, financières, scolaires, relationnelles ni de santé.

Mes parents et mes grands-parents nous ont toujours témoigné par leur vie, de la beauté de l’engagement et du respect des autres.

Parents d’une famille nombreuse à notre tour, mon époux et moi avons vécu des engagements variés dans la société et dans l’Eglise.

Durant 25 ans, j’ai travaillé, en tant que collaboratrice au cabinet d’assurance de mon époux. Puis à la vente de ce cabinet, je suis allée trouver le vicaire épiscopal du moment pour me rendre disponible à un service d’Eglise.

Pendant 10 ans, j’ai animé le Secrétariat diocésain de la solidarité, chargé entre-autre de l’organisation des rassemblements de Taizé. Cette mission m’a passionné et permis beaucoup de belles rencontres.

Cependant au bout de 10 ans, ayant envie et besoin de changement et de renouvellement, le hasard m’a conduit à la pastorale de la santé.

En fait ce n’est pas vraiment le hasard, et ce sera l’objet de mon deuxième point de cette première partie.

  • Sur mon chemin de vie des questions et des rencontres

 Quatre points :

A Craindre la maladie et rejeter la vieillesse.

Je vous l’ai dit, pas de difficulté de santé dans ma famille et comme dans toutes les familles, une arrière-grand-mère et des grands parents à qui je rendais visite de temps en temps.

J’ai toujours entendu ma grand-mère maternelle dire à temps et à contre-temps sa peur de vieillir et sa terreur de la mort.

Durant la moitié de ma vie je n’ai pas côtoyé de personnes gravement malades ni d’ailleurs été proche de personnes d’un certain âge

Est-ce pour cela que je me sentais éloignée de ces situations particulières de vie, allant jusqu’à avoir peur de constater les changements, les dégats subis, par la maladie ou vieillissement.

Et puis pourquoi y penser et s’en préoccuper lorsqu’on est jeune et en bonne santé ?

B : Aimer les gens

Je dis souvent que j’aime les gens, et que ce qu’ils vivent m’intéresse. J’aime les rencontres, le temps passé ensemble à discuter, partager, écouter, et surtout avec les personnes ls plus fragiles, les personnes le plus en difficulté. Il m’est impossible d’ignorer ce qui fait parfois la vie difficile de certains mais j’aime aussi partager les joies, les réussites.

C : Accompagner jusqu’au bout la fille d’une amie.

La vie a mis sur ma route une adolescente, Cécile. Elle était la grande sœur de deux jumeaux qui se trouvaient dans la classe d’une de mes filles. Je rencontrais sa maman chaque jour à la sortie de l’école, puis dans les différentes activités auxquelles ils participaient.

Un jour le visage préoccupé de cette maman a retenu mon attention et assez vite elle s’est confiée sur la maladie de sa fille atteinte d’un cancer de l’ovaire.

La vie de cette famille s’en est trouvée bousculée. Les traitements très durs, les étapes de la maladie, les rechutes, la chute des cheveux, les inquiétudes sur l’avenir sont devenues les préoccupations quotidiennes de tous les membres de la famille. Les obstacles étaient nombreux pour la vie courante : Urgences, rendez-vous reportés, mauvais résultats des analyses, nouveaux traitements possibles, espoirs et déceptions.

Tour d’abord cette amie m’a demandé des services pour les jumeaux qui prenaient souvent leurs repas, faisaient leurs devoirs à la maison.

Puis un jour, elle m’a demandé de venir chez elle pour tenir compagnie à sa grande fille malade. En effet celle-ci n’acceptait personne d’autre près d’elle que sa maman : difficile d’accepter le regard des autres lorsque vous tenez difficilement debout, que vous avez perdu vos cheveux, difficile aussi de parler quand vous avez des nausées.

Et voilà que nous nous sommes apprivoisées l’une l’autre. Elle a accepté ma présence auprès d’elle et j’ai dépassé ce qui me faisait peur. Je la remercie tant j’ai changé, grandi grâce à elle. Avec elle j’ai découvert ce qu’était cette maladie. Restant à ma place, celle qu’elle m’avait donné, j’ai pu l’accompagner jusqu’au bout.

D : Vivre la maladie de notre fille

Un soir de d’octobre 2002 j’ai reçu un coup de téléphone de notre fille ainée qui m’annonçait qu’elle avait passé un scanner et qu’elle allait être opérée d’un cancer du sein.

Je me vois encore assise sur un fauteuil à côté du téléphone recevant cette nouvelle comme un « grand coup sur la tête ». Voilà que la vie de notre famille allait être bousculée pour de longues années.

Stéphanie s’est battue pendant 7 ans contre cette maladie. Oui c’est un vrai combat. Nous aurions aimé qu’elle gagne contre le cancer, mais c’est lui qui a gagné et elle nous a quitté à l’âge de 39 ans.

Je vous ai dit « vivre la maladie de notre fille » et c’est bien cela que nous avons fait au quotidien en cherchant puis trouvant notre juste place dans cet accompagnement.

Je vous ai dit ma crainte de la maladie, ma difficulté à accepter de voir les dégats occasionnés par la maladie à notre corps.

Mais cette fois-ci j’étais prête à affronter cela.

J’ai toujours pensé que le Seigneur avait mis sur ma route la fille de mon amie pour me préparer à accompagner notre fille dans sa maladie.

D’ailleurs Stéphanie le savait, elle qui un jour alors qu’elle me détaillait différents examens, traitements et effets secondaires, rechute, etc… s’est soudain interrompue et me regardant dans les yeux m’a dit : « Mais toi maman tu sais tout ça, avec Cécile »

  • Une mission reçue

Voilà mon chemin, j’ai tenté de vous expliquer comment j’ai été amenée à changer progressivement dans ma vie avec les événements et les rencontres.

Je crois vraiment que c’est tout cela m’a conduite à répondre positivement à la demande de l’évêque de m’engager comme aumônier à l’hôpital de Louhans, puis de Chalon.

J’aime participer à ce service d’Eglise, cette mission qui nous envoie rencontrer les personnes souffrantes ou âgées.

Eclairage et relecture à partir du parcours d’Abraham

Vous connaissez ce texte de la genèse au chapitre 12, verset 1 à 5.

1 Le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai.

02 Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction.

03 Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. »

04 Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui. Abram avait soixante-quinze ans lorsqu’il sortit de Harane.

05 Il prit sa femme Saraï, son neveu Loth, tous les biens qu’ils avaient acquis, et les personnes dont ils s’étaient entourés à Harane ; ils se mirent en route pour Canaan et ils arrivèrent dans ce pays.

  • Quitte ton pays

Ce texte est important, et je vous le partage aujourd’hui parce qu’il parle d’un appel de Dieu, et de la confiance d’un homme, Abram qui obéit sans discuter et se met en route.

  • Ce texte commence par un ordre imprévisible qui parait brutal : Dieu dit à Abram : « Va-t’en, quitte ton pays» ! Un peu rude pour celui qui avait plutôt l’habitude de demander des choses à Dieu en lui donnant en échange (sacrifices, prières, rites, acte de piété...).

En lisant ce récit qu’on appelle souvent « la vocation d’Abram », on a l’impression que la réponse d’Abram est immédiate. Il entend la voix de Dieu et il part même s’il ne sait pas où il va. Il fait confiance à Dieu.

Lorsque j’ai reçu ma lettre de mission comme aumônier d’hôpital, je ne savais pas comment cela allait se passer. C’est vrai que je m’engageais dans l’inconnu mais avec confiance, certaine que le Seigneur allait m’accompagner sur ce nouveau chemin et qu’avec son aide j’allais y arriver.

  • Je ne connais pas l’hébreu malheureusement, cependant en préparant cette intervention j’ai trouvé deux autres traductions possibles de ce « va-t-en » :

Pour certains il peut se traduire littéralement par : « Va pour toi », pour ton profit, dans ton intérêt. C’est ainsi que le comprend la tradition juive. D’autres interprètent ces mots comme un impératif direct, visant la personne unique d’Abram : « Toi, pars ». « Quitte ton pays, ta parenté, et la maison de ton père, et va dans le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation. Je te bénirai. »

Dans ma vie de chaque jour j’essaie de faire un peu de bien pour Dieu, non pas forcément en quittant tout, mais en sortant un peu de moi, de mon petit confort personnel pour aller à Son service vers les autres. Lorsque je pense à cet appel reçu, je mesure ce que j’ai reçu en écoutant, en apportant un peu de réconfort et de paix.

  • D’autres encore traduisent : « Va vers toi » ou « Va plus loin en toi » Cette traduction suggère pour Abram, un voyage intérieur, le départ vers une terre inconnue, à la découverte de lui-même. C’est notamment le titre d’un livre d’Annick de Souzenelle, (décédée en aout dernier), qui dans son livre « Va vers toi » nous invite à découvrir, à partir de cette aventure d’Abram, la semence que Dieu a déposé en nous pour que nous la faisions croitre.

Tu cherches à donner un sens à ta vie ? Alors, marche et tu le trouveras. Avance sur ton chemin et tu te trouveras toi-même, tu découvriras qui tu es vraiment. 

Ma mission, mon engagement à la pastorale de la santé, les visites, les rencontres, l’écoute  des personnes malades ou âgées donnent un sens à ma vie, tout comme ce que j’ai vécu en famille ou dans d’autres engagements dans la société. J’apprends et je découvre chaque jour dans le petit du quotidien, les signes du royaume.

  • Etre déjà en chemin

Certes Abram reçoit un ordre. On pourrait se demander quel est ce Dieu pour faire une telle demande ? On pourrait aussi dire, quel inconscient cet homme qui part ainsi à l’aventure !

Dieu n’appelle jamais trop vite et pour n’importe quoi. Aussi nous comprenons que l’appel de Dieu rejoint un Abram qui est déjà en chemin et que c’est la foi qui le conduit à accueillir le projet de Dieu dans sa vie. Alors il part avec toute sa famille vers l’inconnu, il découvrira tout en route.

Comme je vous l’ai montré dans ma première partie, c’est aussi sur mon chemin que le Seigneur m’a appelé. Domaine inattendu au départ tant la maladie et la vieillesse m’étaient inconnues. Mais auquel j’avais été préparée par des rencontres et des événements de ma vie. Petit à petit, je me suis déplacée.

  • Accepter le changement dans sa vie – Prier autrement

« Abram », selon le nom qu’il porte au début de sa vie deviendra plus tard, Abraham. Cela montre qu’il a changé de vie pour repartir autrement, ailleurs. Chacun peut être appelé à changer dans sa vie, progresser se renouveler.

Là Abram ne demande rien à Dieu, c’est Dieu qui lui demande quelquechose et il obéit.

Voilà qui complète, éclaire le sens de ma prière. Ce n’est pas seulement demander, réclamer, mais aussi écouter Dieu, entendre ce qu’il a à me dire.

Dieu me parle dans mon intérieur, mon intimité. Je peux tout lui dire et il transforme mon cœur. Je peux lui dire mes peurs, mes déceptions mais aussi mes découvertes, mes joies.

  • Accepter le risque

Dans la lettre aux Hébreux au chapitre 11 verset 18, l’auteur souligne la relation qui existe entre Abraham et Dieu. Il écrit ceci : par la foi, Abraham obéit à l’appel de partir vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit ne sachant où il allait.

En fait son chemin sera plus long que prévu. Il devra encore attendre 25 ans pour que s’accomplisse la promesse d’une postérité.

De même nous n’avons jamais fini de parcourir notre route qui nous nous paraît parfois longue, difficile, semée d’embuches et d’imprévus.

Restons dans la confiance. Quitte ton pays et va vers toi-même.  Tu n’es pas seul, le Seigneur part avec toi.

Pour finir je vous donne cette parole du Pape François qui, dernièrement lors d’une audience générale, demandait aux catholiques de s’engager pour qu’autour de chaque croyant on puisse sentir le parfum de l’Esprit du Christ »

Le parfum du Christ, conclut François, est dégagé par les « fruits de l'Esprit », qui sont « l'amour, la joie, la paix, la magnanimité, la bienveillance, la bonté, la fidélité, la douceur, la maîtrise de soi ». Si nous nous efforçons de cultiver ces fruits, alors, sans que nous en soyons conscients, quelqu'un sentira autour de nous un peu du parfum de l'Esprit du Christ ».

Brigitte Foret