N°19 du 10 novembre

 J’emprunte cette expression à Rivon Krygier, rabbin engagé dans le dialogue judéo-chrétien, répondant à un journaliste de la Croix tout récemment. La Shoah est toujours traumatisante dans notre mémoire, comme cette chose impensable et presqu’inexplicable : pourquoi ? Le mal est toujours cette chose excessive, cette deshumanisation qui, d’un seul coup ou plus subrepticement dilué dans nos veines à la manière d’un poison mortel, veut anéantir l’espérance, et avec cela, faire douter radicalement de la paix.

Dans la pensée juive, que nous ne voulons surtout pas abandonner, il ne s’agit pas tant de trouver des explications, que de chercher et demeurer dans un dialogue renaissant avec Dieu et nos frères en humanité. Rivon Krygier vit cette expérience lumineuse, transmise par un ancien : « nous lisons la Bible pour résoudre l’équation de fraternité. »

Le défi de la fraternité n’est pas une idée vague que l’on brandit quand on n’a plus rien d’autre à entendre ou à penser, il est cette épée tranchante dont parle l’Écriture, qui va jusqu’à toucher nos jointures les plus secrètes. La Parole vivante, la Thora, se livre à nous pour nous interroger et nous pousser à toujours exister, à toujours nous risquer à un exode, à un chemin de « sortie hors de soi ».

Cette chose horrible, cruelle, inhumaine, qu’est la guerre, cette chose tout aussi horrible, cruelle et inhumaine qu’est la mainmise sur la conscience et sur la beauté d’une personne humaine et d’un peuple, cette chose ignoble, qui l’arrachera et la jettera hors du monde, pour toujours ? Qui nous fera entrer dans la paix et la fraternité, qui nous donnera d’avancer dans le dialogue et non plus les uns se méfiant des autres ? Qui nous fera sortir du traumatisme ?

Quand nous écoutons humblement, quand nous voulons un partage sincère avec les autres, la foi est cette lumière vivante qui éclaire le chemin, matin après matin. Quand nous écoutons l’écho de la Parole d’un Dieu unique et sauveur se révélant dans la chair des hommes, advient cette autre chose que l’on n’attendait presque plus, tant l’accablement était pesant : le traumatisme n’est plus un lieu définitif de mort, il devient passage de vie inimaginable, grâce à un regard qui réconcilie.

Le Christ porte sur nous le regard, mieux encore, il est notre vie et notre réconciliation. En sa chair crucifiée, il a détruit ce qui nous opposait et qui avait tari tout dialogue ; en sa chair crucifiée, il a semé un germe de communion. Ce germe s’appelle l’humilité. Et quoi de plus humble qu’une parole humaine fragile qui cherche à sortir au jour, sans autre vecteur que l’amour ? Quoi de plus humble qu’un grain de blé jeté en terre avec espérance ? L’humilité, disait un ancien, est la source de la paix, et des fleuves d’apaisement en découlent.

+ Benoît RIVIÈRE