N°11 du 31 mai

 A l’heure où j’écris ces lignes, le projet de loi sur l’aide à mourir est débattu au Parlement. Il arrive cette chose hélas significative de voir que l’examen de ce projet de loi par la commission des lois, a déjà fait disparaître à plusieurs endroits du texte en étude ce que le gouvernement avait promis, à savoir un encadrement par des « conditions strictes ».

Une tribune récemment écrite dans le journal « Le Monde » par un groupe de personnes âgées le dit avec netteté : ce qui est en train d’arriver, sous la pression de certains députés, c’est que les amendements proposés pour protéger les plus vulnérables sont systématiquement revus pour en atténuer la portée. C’est ainsi  par exemple que ce qui avait été proposé pour inscrire dans la loi d’un « délit d’incitation à l’aide à mourir », est actuellement remis en question pour voir apparaître une terrifiante proposition de « délit d’entrave » pour celui qui tenterait de freiner l’accès au geste létal entraînant la mort.

Les auteurs de cette tribune posent justement la question : « nos proches seront-ils punis s’ils tentent de nous dissuader de mettre fin à notre vie ? » L’accompagnement humain n’est-il pas, lorsqu’arrive la prévisible fin de vie, de se tenir près de celui ou de celle qui veut surtout ne pas être enfermé dans la solitude et qui redoute la souffrance ? Se tenir près de quelqu’un en respectant le lien de la vie, le lien fraternel de la relation, plutôt que d’administrer, ou de permettre que soit administré par la personne elle-même, une portion létale à l’heure que l’on aura décidé, n’est-ce pas cela qui est digne d’être appelé un soin d’accompagnement ?

Je ne comprends pas, je suis même profondément choqué, que l’on torde ainsi le sens des mots et que l’on appelle « aide » le fait de donner la mort. Non, l’aide humaine ne peut jamais consister à favoriser la mort ! Ce qui est humain, c’est de maintenir la présence, c’est de permettre l’allégement des souffrances, c’est de se tenir à côté du frère et de la sœur en humanité sans provoquer sa mort, et c’est de lui signifier toujours qu’il a, qu’elle a une dignité fondamentale, à savoir d’être regardés et considérés avec amour.

Si ce que je redoute advient, à savoir la promulgation de cette loi « fourre-tout » dans laquelle les soins palliatifs seront mis dans le même ensemble que la légalisation du geste létal, une fois de plus hélas seront méprisés les pauvres et les petits qui n’auront ni la possibilité, ni les moyens, ni un entourage suffisant, pour résister au triste affaissement moral : me donner la mort deviendrait un geste fraternité, de charité !

Mais je pose cette question : pourquoi en sommes-nous arrivés à ce point de basculement ? Pourquoi sommes-nous en train d’appeler un bien, un geste qui encore aujourd’hui, mais pour combien de temps est tenu pour un mal ? Oui, le suicide assisté, et l’euthanasie, sont encore actuellement un mal que la loi sanctionne. N’y aurait-il pas, dans la pensée de beaucoup, une sorte de crispation sur le fait de vouloir disposer absolument de soi-même, et presque sans limites restrictives, disposer de ce qui est plus beau et plus humain que tout, à savoir la relation aux autres ? Cela expliquerait pourquoi  de nombreux soignants sont actuellement très réticents, pour ne pas dire davantage, à ce qui est en train de se passer avec ce projet de loi sur la soi-disante « aide à mourir ».

Il apparaît donc que seule une courageuse attitude de députés refusant le vote de cette loi, une écoute plus réelle des soignants, une volonté de développer pour de bon la culture « palliative », permettront de se singulariser de manière exemplaire sur un chemin de belle fraternité.

+ Benoît RIVIERE