N°11 du 4 juin 2021

 

Ces jours-ci, en même temps que la sortie progressive de l’état de confinement, est né dans notre diocèse un groupe d’une vingtaine d’artistes qui veulent être en relation dans « la diaconie de la beauté ». En pensant à eux, et m’appuyant sur l’admirable propos de Benoît XVI dans la chapelle Sixtine aux artistes le jour de la Sainte Cécile 2009, j’écris cet éditorial.

Devant un arc-en-ciel au milieu d’un ciel changeant, dans les gouttelettes de la fin d’une pluie printanière puissante, et cette lumière si particulière, vite changeante, nous sommes brusquement happés vers plus haut que nous, vers plus beau que nos enlisements mentaux. C’est le même choc salutaire que nous éprouvons quand nous sommes pris par la beauté d’un spectacle digne de ce nom, ou lorsque des artistes se mettent à jouer ou à chanter ensemble ou lorsque nous participons à la liturgie de l’Eglise.

Pourquoi ce « choc » ? C’est parce que la beauté, parce que les arts, sont précisément là pour nous faire sortir de nous-même, nous extasier littéralement ; cet arrachement, ce choc, nous donne de réaliser que nous étions, sans la beauté, enlisés dans des formes subtiles de résignation, ou de manque de confiance, ou de doute fondamental quant à la destinée du monde.

Au fond, la beauté et les arts sont là pour provoquer un « trouble » salutaire, alors que nous pensions sottement que la clef de l’avenir se trouvait dans la finance et dans les processus économiques. L’art vient faire sauter les verrous d’une rassurance technique… Il vient nous éveiller à d’autres appuis, d’autres finalités, que ceux et celles de la science. Et si par malheur, le monde ne voyait dans les arts qu’un amusement pour bourgeois désœuvrés, ou pire, se méfiait de la beauté et des arts, en liturgie comme partout ailleurs, par peur de l’esthétisme, il faut entendre Dostoïevski affirmer que « sans la beauté, le monde ne pourrait plus vivre, car il n’y aurait plus rien à faire au monde ». Et il ajoute : « tout le secret est là, toute l’histoire est là. » Quant au pape Paul VI, il allait jusqu’à dire : « Sans l’aide des artistes, le ministère de l’Eglise deviendrait balbutiant et incertain… »

Oui, nous en sommes convaincus dès que nous voulons prier, dès que nous voulons entrer en célébration, que dis-je, dès que nous voulons aimer, c’est la beauté qui nous prend par la main pour restaurer en nous le souffle de la parole initiale…

Ce n’est pas nous qui restaurons la beauté, ce sont les arts, c’est la beauté, qui nous restaurent nous-même. « Dans tout ce qui suscite en nous le sentiment pur et authentique de la beauté, il y a réellement la puissance de Dieu », écrivait la philosophe et mystique Simone WEIL.

+ Benoît RIVIERE