Homélie pour le deuxième dimanche de Carême
et l’anniversaire de mes 20 ans d’ordination épiscopale

Chers frères et sœurs,

Avec nos pères dans la foi, chaque jour éveille en nous l’élan de la foi, de l’espérance et de l’amour. Avec eux, nous sommes continuellement mis en route. Nous apprenons à tout âge, nous apprenons à croire, à espérer et à aimer.

Et les responsabilités qui nous sont confiées, quand nous entendons les assumer non pour notre prestige personnel mais pour le bien commun, sont chaque jour le rappel que nous sommes des pèlerins en chemin. Ce n’est pas notre projet propre que nous réaliserions et auquel nous ferions adhérer les autres, c’est Dieu nous engageant dans son alliance et son projet de salut.

La première lecture de ce deuxième dimanche de Carême, nous montre un moment particulièrement délicat et singulier dans l’itinéraire d’Abraham. C’est le moment où, après avoir goûté la joie qu’il n’attendait plus, celle de voir naître un fils dans sa vieillesse, Isaac dont le nom signifie « sourire de Dieu », premier d’une descendance innombrable, Abraham est conduit dans la nuit paradoxale du Mont Moriah. Dans ce moment, il avance plus profondément dans une espérance au-delà de toute espérance. L’offrande acceptée ouvre à la transformation profonde de la relation avec Dieu. Dans cette nuit de l’esprit où Abraham est conduit, s’opère le passage d’un Dieu imaginaire à un Dieu vivant et vrai, passionné par la vie des hommes. Dieu n’est pas un pervers qui réclame pour lui la vie des hommes, il est un Dieu source éternelle de vie, qui vient justement arracher l’homme à la mort et au péché, par le moyen inimaginable de l’incarnation et de la rédemption.

Isaac est déjà figure du Christ. Son histoire nous dit ceci : Dieu ne peut pas mentir, et sa promesse demeure jusqu’au bout. Et nous pouvons, comme Abraham, nous en remettre vraiment et entièrement à Dieu de la manière dont Dieu tiendra parole. Il s’agit non seulement d’une confiance, mais d’une offrande complète de soi sans prise sur la manière avec laquelle Dieu réalisera sa promesse.

Oui, des appuis habituels se dérobent aujourd’hui à nos yeux !

Oui, des évidences se changent en doutes !

Oui, des soi-disant témoins se révèlent en définitive des faux témoins !

Oui, la rupture de confiance fait mal !

Oui, des effondrements de tous ordres provoquent des peurs et des angoisses sans nombre !

Et ce n’est pas malgré tout cela que nous croyons, malgré tout cela que nous espérons, malgré tout cela que nous aimons ; c’est à travers tout cela que nous croyons en la parole fidèle, c’est à travers tout cela que nous espérons au-delà de la nuit, c’est à travers tout cela que nous aimons.

Ecouter dans la prière et écouter le frère ou la sœur qui souffre, tenir fermement l’appui des sacrements, ne jamais fermer notre cœur à l’appel de Dieu nous aimant et nous apprenant à aimer comme lui, voilà ce que nous apprenons, d’étape en étape, et voilà ce que nous apprenons « à travers » l’épreuve, et non pas « malgré » l’épreuve.

C’est comme pour Abraham sur le mont Moriah, c’est comme Jésus lui-même sur la route de Jérusalem, éclairée par la joie lumineuse du Mont Tabor. La joie de la Transfiguration n’est pas une parenthèse sur la route de la croix, elle est déjà l’aboutissement, ou plutôt le commencement de l’aboutissement d’un amour éternel et divin qui se donne.

Dans le cœur des disciples Pierre, Jacques et Jean, s’inscrit une admirable lumière à cet endroit de l’itinéraire de Jésus et de leur propre itinéraire avec lui : celle de l’écoute et de l’obéissance amoureuse, y compris dans le silence et la nuit de l’épreuve. Là même, nous apprenons, comme l’apôtre Paul, que Dieu est Celui qui rend juste, en rétablissant dans la confiance, en montrant l’espérance, et en aimant jusqu’au bout. Ceci est l’œuvre de Dieu, à laquelle il nous associe, mieux encore, dans laquelle il fait de nous ses amis et ses témoins.

Frères et sœurs, en ce dimanche qui nous conduit à la joie pascale, et en ce dimanche où vous me portez dans la prière pour que je sois de mieux en mieux l’évêque qui sera utile au bien de l’Eglise et de sa mission, que soit inscrit dans nos cœurs le sourire de la résurrection, sourire qu’Isaac portait en germe dans sa propre personne !

Que soit fructueux ce Carême éclairé par la joie de la Transfiguration !

Et que soient affermis ceux et celles qui avancent sur le chemin de la foi, de l’espérance et de l’amour !

+ Benoît RIVIERE